Chapitre 3: Elucubrations des garçons
Chapitre 3: Élucubrations des garçons
Les
deux détectives sortirent du commissariat de Beika, béats. En effet, à
eux deux ils avaient résolus une enquête assez complexe sur un dealer
en fuite. Leurs esprits de déduction réunis et leurs flairs leurs ont
permis de prévoir avec exactitude l'endroit où le criminel allait se
réfugier et le lieu de transaction grâce à quelques indices de certains
de ses complices capturés. Le commissaire Maigret avait envoyé ses
meilleurs agents sur place et remercié chaleureusement les détectives
pour leur collaboration.
Les garçons discutèrent longtemps à
propos d'enquêtes résolues par chacun d'eux et de l'organisation
dissoute. Quelques points encore sombres les maintenaient en alerte,
mais il semblait que cette mauvaise histoire était enfin derrière eux.
Ils prenaient la route vers le centre-ville, rejoignant leurs amies
d'enfances respectives. Ils savaient que les foudres s'abattraient sur
eux en rentrant: ils étaient partis sous les reproches et les
réprimandes des deux filles, sans les aider d'une quelconque manière
pour la préparation du diner.
Heiji et Shinichi soupirèrent à
l'unisson, le premier les mains dans les poches l'autre une main lasse
dans les cheveux. Ils ne firent plus de commentaires écoutant la ville
respirer, la ville vivre. Les taxis entamèrent une chorale de klaxon,
les pneus des voitures crissaient, les gens au téléphone parlaient
fort. Mais ça ne les dérangeait pas le moins du monde. Ils avaient
baignés depuis leur plus tendre enfance dans cet univers. Tôkyô.
Mégalopole Japonaise.
Ce fut Heiji qui brisa le silence qui s'était installé entre les rivaux:
- Je pense que c'est une bonne chose.
Shinichi fronça les sourcils d'incompréhension. De quoi le détective de l'Ouest pouvait-il bien parler ?
- Je pense que c'est une bonne chose que Kazuha vienne s'installer à Tôkyô.
Le
jeune homme à la peau mat avait murmuré cette phrase, plus pour
lui-même que pour son ami. Une moue dubitative traversa le visage du
détective de l'Est:
- Tu dis ça maintenant, mais bientôt…
-Non,
je pense sincèrement que c'est une bonne chose. Kazuha est ma meilleure
amie, mais si on reste trop ensemble, on risque de s'enfermer dans
notre monde à nous, à ne plus pouvoir rencontrer d'autres personnes. Et
puis, ici elle pourra réaliser son rêve.
Il avait prononcé cette
phrase avec détachement, mais on pouvait aisément sentir que cette
conclusion était le résultat d'une longue réflexion de la part du
garçon.
Shinichi resta pantois. Il n'avait que rarement –ou alors
uniquement lorsqu'il était enfant- envisagé la relation d'ami d'enfance
de cette manière là. Il n'avait aucun problème avec Ran, mais c'est
vrai qu'il n'avait presque aucun lien avec d'autres filles, excepté
Sonoko.
Il lâcha un soupir et marmonna:
- Je ne sais pas si j'aurais cette même assurance si Ran devait partir à l'autre bout du Japon sans moi.
-Ran et toi, ce n'est pas pareil ! sourit narquoisement son ami. Vous sortez ensemble, vous êtes un couple.
Le détective de l'Est fronça les sourcils. Comment ça, ce n'était pas pareil ?
- Ce n'est pas pareil ? Je croyais que tu étais amoureux de Kazuha… ?
Heiji
ricana quelques instants, avant de s'arrêter en plein milieu du
trottoir et de fixer son ami, les yeux ronds comme des billes. Amoureux
de … ? Sans savoir pourquoi, il sentit ses joues s'empourprer et son
cœur tambouriner un peu plus rapidement. La panique et la surprise
certainement.
- Moi ? Amoureux de Kazuha ?
Son rival le
fixait avec insistance, ne comprenant pas immédiatement la gêne de
Heiji. Puis un éclair fusa, il analysa la situation immédiatement. Un
sourire amusé prit forme sur ses lèvres et il répliqua:
- Oui,
du moins c'est l'impression que ça donne. Tu ne te rappelles pas de
l'affaire du magicien ? Étrangement, le fait qu'elle approche un autre
homme que toi te dérangeais…
Heiji se mordit la lèvre et posa
son regard sur le sol goudronné, les poings serrés sans raison. Oui,
c'était vrai, il n'avait pas apprécié que ce magicien sans gêne colle
Kazuha. Ou plutôt qu'elle s'agrippe de trop près à lui. Mais ça n'avait
rien à voir avec de l'amour… c'était…
- Mais ce n'est pas
pareil, tenta-t-il de se justifier. Kazuha, elle est comme ma petite
sœur. Une petite sœur un peu collante que je dois protéger… je n'ai
jamais pensé à elle autrement.
Shinichi croisa les bras en
haussant un sourcil. Son ami était-il réellement stupide ? Concernant
ce genre d'enquête, il était vraiment nul. Mais c'était pareil pour
lui: si Ran n'avait pas avoué son amour à Conan, jamais il ne se serait
déclaré. La différence entre les deux détectives était que celui de
l'Est s'était bien évidemment rendu compte de ses sentiments pour son
amie d'enfance, au contraire de son homologue de l'Ouest.
- Tu es réellement sur de ça ? demanda Kudo.
Hattori
ne répondit pas. Sans savoir pourquoi, cette révélation l'avait un peu
chamboulé. C'était vrai qu'il lui était déjà arrivé d'être gêné par la
proximité de son amie d'enfance et de l'imaginer parfois autrement que
comme une amie. Mais n'était-ce pas normal ? Kazuha était, et bien
qu'il s'amusait à dire le contraire, belle et pleine de charme. Ce
n'était pas étonnant que d'autres hommes que lui veuille l'approcher,
avec des intentions moins louables que les siennes. Kazuha est
quelqu'un d'important à ses yeux, sa sœur, son amie, n'était-ce pas
normal de vouloir la préserver des hommes mal intentionnés ? Mais
quelles étaient ses réelles intentions à lui, Heiji Hattori ? Que
ressentait-il vraiment envers son amie d'enfance ?
***
- Heiji ? Ça ne va pas ?
L'interpellé
leva les yeux de son assiette et rencontra ceux, surpris, de son amie
d'enfance. Immédiatement, ses joues s'empourprèrent sans raison, et il
balbutia quelques mots incompréhensibles. Kazuha fronça les sourcils en
soulignant le fait qu'il n'avait pas touché à son assiette. Depuis
qu'il était rentré de sa sortie avec Shinichi, Heiji était pensif,
absent. La jeune femme jeta un regard circonspect aux deux Tokyoïtes
qui se contentèrent d'hausser les épaules. Le détective de l'Est était
plutôt satisfait de la réaction de son ami: il ne pensait pas que ça
serait si transcendant, et encore moins que ça le travaillerait autant.
Il se doutait bien que Hattori ne se rendait pas compte de ses
sentiments envers Kazuha. Ce qui était plutôt paradoxal, c'était que
les preuves de ses sentiments –d'après le détective de l'Est- étaient
nombreuses: son rival ne supportait pas de voir son amie pleurer,
réagissait excessivement à l'approche d'un autre garçon… et pourtant,
il se refusait inconsciemment d'imaginer une seule seconde que ses
sentiments pour la jeune femme étaient différents de l'amitié. Avait-il
peur de s'engager ? De se déclarer ? Ou tout simplement peur de perdre
son amie pour des émotions incontrôlables ?
Heiji se leva quelques
instants plus tard, prétextant un mal de ventre. Il sortit de table
sous l'œil anxieux de Kazuha. Elle s'inquiétait de son attitude
étrange: il ne parlait pas, n'osait pas la regarder dans les yeux, et
pensait à autre chose. Lui, le détective au caractère trempé, bon
enfant et chaleureux…qu'est-ce qui le poussait à être aussi froid et
réservé?
Une fois le détective partit, elle demanda à Shinichi:
- Tu ne saurais pas ce qui le rend si bizarre ?
L'interpellé sourit mystérieusement et se contenta de répondre vaguement:
- Il doit remettre deux trois petites choses en question, ne t'inquiète pas ça va s'arranger.
Cette
réponse interloqua Kazuha, ne la rassurant pas pour autant. Des choses
à remettre en question ? Elle ne comprenait pas du tout ce qu'il
voulait dire. Est-ce que Heiji avait des problèmes ? Elle n'en avait
pas l'impression, depuis son arrivée à Tôkyô il était aussi bon vivant
et caractériel qu'à Osaka. Etait-ce son départ qui le rendait
mélancolique ? L'étudiante remit ses idées en place intérieurement, se
refusant de trop s'enflammer. Heiji allait bien, il fallait qu'elle
pense à autre chose. C'est pourquoi elle suivit avec amusement les
chamailleries des deux amoureux Tokyoïte, lui rappelant les siennes
avec son ami d'enfance, un fin sourire mélancolique tracé sur ses
lèvres.
***
Le garçon à la peau mat se dirigea jusqu'à la
salle de bain où il s'aspergea d'eau froide. Il releva lentement la
tête pour apercevoir son reflet dans la glace. Il ne se reconnaissait
plus. Pas étonnant que même Kazuha ait remarqué que quelque chose
clochait, il était tantôt livide, tantôt aussi cramoisi qu'une tomate.
Heiji n'avait pas imaginé une seule seconde qu'une remarque aussi
anodine puisse le bouleverser à ce point. Ça remettait en cause tout ce
qu'il avait pu penser pendant longtemps, cassant une évidence qu'il
traînait derrière lui depuis des années. Est-ce que Kazuha avait
imaginé qu'il pouvait ressentir de l'amour à son égard ? Rien que cette
pensée le mettait mal à l'aise. Maintenant qu'il y réfléchissait,
c'était tout à fait plausible: il avait retenu une révélation
in-extremis pendant leur kidnapping à Tôkyô, il y a quelques années. Et
les événements du même genre s'étaient reproduits. Avait-il, à
l'époque, de réelles intentions de déclaration ? Il ne s'en rappelait
plus. Mais ce n'était pas possible, pas envers Kazuha, pas envers sa
"sœur"…
Et si c'était pour ça qu'elle avait décidé de s'installer à Tôkyô ? Par gêne ? Pour l'éviter ?
Imaginer ça lui fit plus mal qu'il ne voulait y croire.
-Merde, pensa-t-il en se grattant la tête.
Le
détective de l'Ouest était dans une impasse. Amitié ? Amour ? Quelque
chose entre les deux ? Comment choisir quand on est amis d'enfances ?
Heiji
s'observa longuement dans la glace, le regard dur et déterminé. Il
devait chasser ces idées obsédantes de son esprit. Il devait chasser ce
trouble qu'exerçait Kazuha sur son cerveau.
Il devait remédier à tout ça. Quel qu'en soit le prix.
A suivre...